De la « République irréprochable »

Lettre ouverte
à Mmes Michèle Alliot‐Marie et Valérie Rosso‐Debord
et MM. Jean‐Marc Ayrault et Patrick Ollier

Mesdames, Messieurs, Madame et Monsieur les Ministres, Madame et Monsieur les Députés,

Une fois n’est pas coutume, je sors ici de la retenue qui me caractérise pour ce qui touche à la politique. Appréciant l’anonymité du vote à bulletin secret, je renâcle à l’idée même d’exprimer ouvertement mon point de vue quant à la chose publique, bien que me définir comme un républicain démocrate1, un brin utopiste mais sachant conserver les pieds sur Terre, ne me dérange pas — comprenez bien que je n’apprécie pas d’ouvertement me définir comme associé à un groupe politique plutôt qu’un autre2. Je précise à tout hasard que j’ai été encarté, il y a quelques années, à un parti politique français. Ce n’est plus le cas, même si la maire de la commune où je suis inscrit, militante engagée du même, continue à me convier à certains des événements qui sont organisés par ses services — j’en profite pour signaler à Mme B. que si je ne viens pas, ce n’est pas par manque d’envie, mais par manque de temps, au cas où elle me lirait, ce que j’espère, au cas où elle se reconnaîtrait, ce qui est moins sûr, et au cas où elle me reconnaîtrait, ce dont je doute, attendu que j’anonymise dans la mesure du possible tout ce qui touche à ma vie privée sur ce blog.


La raison première de ce changement brutal et néanmoins très temporaire dans mon habitude est la sortie de M. Ayrault, hier, devant des journalistes, dans le palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale. Je le cite ici :

La « République irréprochable » dont parlait Monsieur Sarkozy devrait conduire Madame Alliot‐Marie à ne même pas hésiter et à donner elle-même sa démission. Si elle ne le fait pas, c’est à Monsieur Sarkozy de prendre ses responsabilités.

J’entendis ceci sur France Inter, lors du journal de 19h3. J’ai trouvé ce même extrait en vidéo, profitant de mon insomnie habituelle, sur 2424actu.fr, un site que je ne connaissais pas, créé et maintenu par France Télécom / Orange. Il s’agit d’un extrait du 19/20, le journal télévisé diffusé en début de soirée sur France 3, chaîne publique (vers 1’15 »), pour ceux qui ont besoin d’une image pour comprendre un son. Je l’entendis, et je sursautai. Je maugréai ensuite ce sur quoi je vais m’étendre maintenant.

Je vais maintenant expliquer pourquoi je maugréai : il s’agit d’une question de terminologie. Car oui, je maugrée souvent sur les fautes de français que j’entends dans les médias. Mais je maugrée plus encore quand elles sont faites non par des journalistes, mais par des membres de la classe politique — qui, comme je l’indiquais précédemment, est « censée représenter mon pays, donc moi-même, auprès du monde, donc auprès de ma famille aussi, y compris celle vivant à l’étranger ». Il me semble en effet que dans le domaine particulier de la politique, le choix des mots est particulièrement important.


Venons-en au point. En quoi est-ce un problème de terminologie ? Faisons simple :

  • Un régime irréprochable n’a littéralement rien à se reprocher.
  • Un régime dont un représentant (un ministre, dans le cas présent) prête le flanc à des reproches — qu’ils soient ou non mérités, ce n’est pas là le lieu de ce billet — et à des suspicions de collusion4 peut tout au moins se reprocher de ne pas avoir su mieux choisir son représentant.
  • Donc un régime dont un représentant prête le flanc à des reproches n’est pas irréprochable, Ce Qu’il Fallait Démontrer.

Alors certes, je peux comprendre les raisons de votre erreur, Monsieur Ayrault, Monsieur le Député : vous veniez de sortir de séance, ce qui pour un président de groupe est je crois passablement épuisant ; vous étiez pressé par une foule de journalistes (je compte 10 micros, dont un sur perche en haut à gauche et un minimagnétophone, trois caméras, à savoir les deux que l’on voit au bord droit de l’image en sus de celle qui justement tourne, et au moins trois « mecs qui écoutent »5, ou plus précisément deux femmes et un homme qui se cache subtilement derrière vous, dites-moi si je me trompe) à répondre à une question qui, à bien y réfléchir, n’appelle pas une réponse si simple qu’il y paraît.

Néanmoins, je souhaite apporter cette double correction à votre affirmation :

La « République irréprochable » dont parlait Monsieur Sarkozy devrait conduire Madame Alliot‐Marie à ne pas prêter le flanc à pareilles récriminations. Si elle ne le fait pas, c’est à Monsieur Sarkozy de prendre ses responsabilités.

Merci d’y prêter attention.

Je passerai sur le fait que c’est en premier lieu à M. Fillon, Premier ministre, que revient la charge de proposer un nouveau ministre (changeant de fait de Gouvernement) à M. Sarkozy, Président de la République, puisqu’en pratique, il semblerait que le premier s’efface devant le second.


Madame Alliot‐Marie, Monsieur Ollier, Madame et Monsieur les Ministres, loin de moi l’idée de dicter vos actes, et encore moins si ceux-ci se font sur votre temps personnel. Mais peut-être apprécierez-vous tout de même la sagesse et les conseils d’un jeune homme pas encore trentenaire, peu engagé politiquement, mais qui a, j’aime à le croire, une tête bien faite à l’intérieur, à défaut de l’être à l’extérieur.

Il me semble que, congé ou non, vous représentez la France où que vous vous rendiez. Même si vous ne pensez pas être « en mode travail », que vous le vouliez ou non, les personnes autres que vous verront toujours en vous le6 ministre d’État, ministre des Affaires étrangères et européennes ; et le ministre chargé des relations avec le Parlement. Puisque vous ne cessez pas d’être ministres lors de vos congés, vous ne devez pas non plus cesser de faire aussi peu de vagues que possible autour de votre vie privée comme publique lors de vos congés. C’est là une simple question de logique.


Madame Rosso‐Debord, Madame la Députée, enfin, vous affirmez ceci7 :

[Michèle Alliot‐Marie] a juste utilisé une place vacante, comme si moi je prenais quelqu’un dans ma voiture, que j’emmène au même endroit que moi, ça on peut pas le lui reprocher.

Je ne vous prête pas les mêmes excuses que M. Ayrault : je ne compte que cinq micros, une seule caméra, et personne derrière vous ; vous n’êtes pas président de groupe parlementaire ; mais à votre décharge vous sortez tout de même de séance.

Si toute personne pouvait employer cette même défense devant la Justice, le législateur, qui fonctionne depuis ma naissance au moins selon le système « Un fait divers, une loi », serait bien embêté. Fait amusant, Madame Alliot‐Marie elle-même s’est déjà élevée contre ce système lorsque M. Hortefeux, ministre de l’Intérieur a annoncé il y a un an presque jour pour jour un plan de protection des personnes âgées. Le monde politique est décidément bien petit8.

En effet, les personnes complices d’évasion encourent elles aussi des peines9, ce qui à mon sens indique qu’on peut le leur reprocher — j’espère que les amendes et peines d’emprisonnement ne sont pas encourues par des personnes à qui on ne reproche rien, je vous prie de ne pas froisser ma naïveté en la matière.

Peut-être avez-vous déjà entendu parler, Madame la Députée, du Prix Busiris. Il s’agit d’un un prix parodique « qui récompense une affirmation juridiquement aberrante, si possible contradictoire, teintée de mauvaise foi et mue par l’opportunité politique plus que par le respect du droit »10. Je n’ai pas l’intention de supplanter l’Académie Busiris. Je ne sais si au juste vous en méritez un, et sincèrement j’en doute. Mais j’ai l’impression que vous remplissez au moins par votre déclaration certains des critères qui pourraient vous en valoir un. Je vous saurai donc gré, Madame la Députée, de faire vous aussi un peu attention à ce que vous dites : les députés sont certes des législateurs mais cela ne fait pas véritablement d’eux des juristes. Et puis vous pourriez vous trouver confrontée, selon le système dont je parlai plus haut, et si d’aventure une personne accusée de complicité d’évasion utilisait votre défense de Madame Alliot‐Marie, à la nécessité de légiférer sur la notion de complicité d’évasion pour ce qui est du cas du « pilote », celui qui ne fait que conduire le moyen de transport employé lors d’une évasion. De grâce, abstenez-vous.


Dans l’attente de votre lecture, ce que je souhaite, et peut-être même d’une réponse de votre part, ce que je n’ose qu’à peine espérer, je vous prie de croire, Mesdames, Messieurs, Madame et Monsieur les Ministres, Madame et Monsieur les Députés, en l’assurance de ma plus haute considération11.

  1. sans le moindre rapport avec les Éléphants ou les Ânes d’outre-Atlantique, si ce n’est le nom []
  2. Je sais que cette démarche a longtemps été associée à des personnes d’extrême-droite qui « avaient honte de l’avouer » : ce n’est pas mon cas, et j’aime à croire que les mœurs ont suffisamment évolué, pour que, dans un pays où l’extrême-droite a dépassé 18% lors d’une élection présidentielle (soit 16,86% pour le candidat Jean-Marie Le Pen auxquels s’ajoutent 2,34% pour le candidat Bruno Mégret, en 2002, souvenez-vous), ses militants n’aient plus « honte » de l’avouer. []
  3. Désolé du format RealAudio, c’est vers 9’15 », il vous faudra je le crains patienter jusque là… []
  4. annoncées par M. Montebourg, ce que vous pourrez entendre peu avant l’intervention de M. Ayrault dans l’extrait sonore que j’indiquai plus haut []
  5. Oui, c’est une allusion aux Nuls, mes félicitations si vous aviez reconnu. []
  6. Madame Alliot‐Marie est le ministre d’État, ministre chargé des Affaires étrangères et européennes. Elle serait la ministre si d’aventure elle démissionnait de son poste, épousait Monsieur Ollier — je ne sais au juste si vous êtes mariés, auquel cas je vous adresse mes félicitations, bien qu’étant moi-même opposé au mariage —, lui-même conservant le sien : il en va de même pour les femmes cafetiers qui ne sont pas des cafetières… []
  7. dans la même vidéo, juste après l’intervention de M. Ayrault []
  8. voir cet article du 31 janvier 2010, publié sur lexpress.fr, à ce sujet []
  9. « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende le fait, par toute personne, de procurer à un détenu tout moyen de se soustraire à la garde à laquelle il était soumis. (…) » art. 434-32 CP, Code pénal, Partie législative, LIVRE IV, TITRE III, CHAPITRE IV, Section 3, Paragraphe 2. []
  10. selon la définition fournie par Maître Eolas lui-même, lorsqu’il a décerné le premier à M. Fillon, alors conseiller politique de M. Sarkozy, lui-même ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire en mars 2006 []
  11. et ce, même si la présente lettre vous avait convaincu du contraire, ce qui n’était pas le moins du monde mon intention []

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