Ma grand-mère est tombée...

… Plus de peur que de mal, mais beaucoup de mal tout de même.

Samedi, en pleine IRL à l’autre bout de Paris, mon oncle me demande de passer chez elle (j’ai les clés depuis plusieurs années maintenant). J’ai dû lui répondre qu’il y serait avant moi (lui aussi a les clés, depuis bien plus longtemps que moi même). Elle l’a appelé après être tombée en glissant sur son balcon.

Sa dernière chute, elle l’avait faite dans un escalier en allant chez son ophtalmo (elle pensait s’adosser au mur en sortant de l’ascenseur, sauf que dans le noir elle n’avait pas vu qu’il n’y avait pas de mur mais un escalier qui descendait). Bilan, un étage plus bas : petite plaie sur le sommet du crâne, écorchure sur le coude, et c’est tout (!). Costaude, hein ?

Là ce coup-ci, c’est un peu plus chiant. Elle est tombée sur sa fesse, qui n’en a manifestement plus l’habitude depuis qu’elle fait attention, et s’est donc fracturé le bassin (fracture double ischio-pubienne et ilio-pubienne à droite). Ça fait mal sur le coup, ça énerve ensuite, vu qu’elle est habituée à son âge (96 ans tout de même, c’est honorable) à une certaine autonomie (elle se fait la cuisine toute seule, fait pas mal de courses toute seule, un peu de ménage, de marche à pied, etc…).

Et puis ça énerve parce qu’elle doit rester à l’hôpital. Si on oublie son bref passage aux urgences de Cochin, le temps d’une soirée, pour sa chute dans l’escalier à l’automne dernier, sa dernière hospitalisation remonte à quelque chose comme une vingtaine d’années, d’ailleurs à l’hôpital même où elle est passée aux urgences ce coup-ci, Saint-Antoine.

Elle en gardait un mauvais souvenir : outre le fait qu’elle y était pour un abcès du plancher buccal, et qu’il a donc fallu l’opérer, elle avait vu un mouton de poussière sous un lit et en avait été proprement horrifiée 😀

Le souvenir ne s’est pas amélioré : elle a passé en effet deux jours dans le service porte des urgences, et sa voisine, Madame S., pour gentille qu’elle était, a décompensé en quelques heures un magnifique délire, au sens propre du terme. J’ai dû prévenir les infirmières lorsqu’elle s’est mise à draguer mon oncle de 25 ans son cadet…

Elle. Je ne trouve pas mes vêtements

Lui. Mais si, madame, cherchez dans votre placard

Elle. Je viens d’y aller, ils n’y sont pas ! Notons tout de même qu’elle n’avait pu y aller, vu que l’infirmière venait de lui poser la perfusion qu’elle s’était arrachée pour la deuxième fois en une heure sans se rendre compte qu’un pied de perfusion n’est pas un véhicule automatisé qui suit le patient où qu’il aille… et qu’une canule de perfusion n’est pas infiniment extensible !

Lui. Vous voulez vos vêtements pour aller où ?

Elle. Chez vous ?

Lui, ravalant un rire. Non, vous ne venez pas chez moi, vous devez rentrer chez vous après votre hospitalisation.

Elle, rassurée. Ah, tant mieux, parce que je ne sais pas où vous habitez !

Là, j’ai dû sortir. D’abord pour rire un bon coup dans le couloir – ce n’est pas de la moquerie, si ça se trouve à son âge je serai dans un état bien pire que le sien, mais juste un rire gentil face à une situation cocasse. Puis pour indiquer ce changement assez brusque de comportement : deux heures plus tôt, elle était consciente et n’était pas désorientée.

Ma grand-mère a appris hier qu’on la changeait de service et d’hôpital. Elle en fut ravie. Sa voisine, malheureusement, n’avait été sédatée qu’insuffisamment avant la nuit, avait donc passé son temps à vadrouiller dans tout l’hôpital, et avait été ramenée plusieurs fois manu infirmierari. Et ça fait du vacarme, un infirmier et deux aides-soignants qui essayent de remettre au lit une patiente octogénaire délirante non sédatée. Elle n’avait pu dormir qu’une heure en tout et pour tout, entre les cris de la patiente et les coups les demandes instantes du personnel soignant.

Les ambulanciers sont arrivés peu après le repas. Ils se sont d’abord occupés de la voisine, qui quittait l’hôpital elle aussi, non sans nous dire qu’elle enfin rentrait chez elle (sourire ravi de ma grand-mère qui décidément ne la supportait plus), et nous ont indiqué qu’ils s’occuperaient de nous peu après, dès leur retour. Quelques blagues pour détendre l’atmosphère, et c’était dans la poche : ma grand-mère n’a pas cessé de chanter leurs louanges !

Je rejoins l’ambulance à Rothschild – mon père avait pris la place de l’accompagnant -, quelques minutes de marche plus loin. Ma grand-mère est déjà installée dans sa chambre (les démarches vont vite, avantage des hôpitaux de moyen-long séjour il y a peu d’admissions), qu’elle trouve « mieux que l’ancienne » (et pourtant les peintures sont moins fraîches, le matériel plus ancien, les volumes plus petits, mais j’ai préféré ne pas l’en détromper). Elle découvre son fauteuil. Avec un énorme plaisir. Car les nouveaux fauteuils, achetés à Saint-Antoine il y a quelques années et remplaçant les anciens, ne comportent pas de roulettes, d’accoudoirs escamotables, ou de repose-pieds. Les anciens, eux, si. C’est beau le progrès, quand on ne peut pas faire un pas à cause d’une fracture du bassin : pour aller dans la salle d’eau, elle devait se lever tant bien que mal sur sa jambe gauche, s’asseoir sur un fauteuil roulant, et marcher de la porte de la salle d’eau (pas assez large pour le fauteuil roulant, bravo les architectes ! ) aux toilettes ou au lavabo ; elle doit maintenant rester assise, rester assise, et rester assise pour aller aux toilettes ou au lavabo, avec son fauteuil d’une vingtaine d’années ! Elle découvre aussi son ventilateur personnel. C’est vrai, à Saint-Antoine ils ont préféré construire un nouveau bâtiment avec de jolies décorations, admettez que c’est plus utile de voir « bonjour » écrit en 58 langues sur une vitrine que d’avoir un peu d’air par 30 degrés sous serre plein sud.

Dans le couloir, nous rencontrons… la fille de l’ancienne voisine. Puis l’ancienne voisine. Mon père et moi décidons de ne pas désespérer ma grand-mère, en lui cachant donc ce fait qui n’aurait pu que l’énerver. Petite discussion avec le médecin (charmante chef de clinique, très compétente et vraiment disponible, j’en suis presque étonné compte tenu des patients qu’elle a à sa charge – une trentaine de grabataires, pour simplifier, faut bien reconnaître que ça prend du temps), et je remarque du coin de l’oeil que madame S. (qui n’est plus la « coloc de chambrée » de ma grand-mère, mais loge quelques chambres plus loin) fait la visite du couloir, consciencieusement. Certes, elle ne nous a pas reconnus quand nous l’avons croisé, mais elle avait apparemment envie d’explorer et sans doute de voir qui étaient ses nouveaux voisins et à quoi ressemblait son nouvel environnement. Le temps de retourner dans la chambre de ma grand-mère, et nous l’y retrouvons, en train de demander à ma grand-mère comment elle va, avec un grand sourire… et ma grand-mère, désespérée finalement, car elle pensait en être enfin débarrassée !

Elle finit par discuter un peu avec sa nouvelle voisine, qui a elle aussi été outrée par le comportement de la visiteuse importune, puisqu’elle a ce coup-ci cherché ses chaussures dans les placards et la salle d’eau. Ça change des vêtements, mais ce n’est pas encore tout à fait ça.

Dernier avatar de la saga, la voisine est repassée une dernière fois en fin de soirée, alors que tout le monde dormait, histoire de taper la discute… Je crois que ma grand-mère n’a jamais été aussi contente d’avoir une sonnette à sa disposition ^^’

Aujourd’hui, elle nous attendait de pied ferme, puisqu’on l’a retrouvée mon oncle et moi au bord des larmes, pensant qu’on ne viendrait pas (elle avait cru que les visites commençaient à 13h, alors qu’elles commencent à 14h…). Je lui ai ramené une petite radio, histoire que « quelqu’un lui parle quand elle en a envie » – sa nouvelle voisine, A., est, quoique bien gentille, un peu taciturne, et n’entend pas très bien, ça n’aide pas à la conversation.

Elle m’a demandé de passer quotidiennement. J’y ai déjà passé une bonne partie de mon dimanche, tout l’après-midi de lundi et mardi (de 13h à 20h), et  le début de l’après-midi de ce mercredi (de 14h à 18h). Au moins il ne fait plus aussi chaud que tant qu’elle était à Saint-Antoine, et je ne ruisselle plus de sueur quand j’y arrive ou quand j’en reviens. Non, ces jours-ci je rentre sous l’orage, et je ruisselle donc de pluie. Je préfère éviter de lui dire, elle se sent déjà assez mal comme ça. Une quinzaine de jours à tenir, 20 minutes aller, 20 minutes retour. Ça va être long.

5 comments to Ma grand-mère est tombée…

  • Je compatis ; j’ai du, a plusieurs reprises, passer tous les soirs à l’hopital afin d’aller y voir ma mère pendant parfois 3 semaines d’affilé. C’est nécessaire bien sur, mais fatiguant/obligeant pas mal à couper sur les autres activités…

  • Edhral

    Je compatis, vraiment. Le coup de la voisine de chambre qui délire, qui arrache ses perfs, ses sondes urinaires, je l’ai vécu… sauf que j’avais 17 ans (juste l’âge pour être mise dans un service adulte plutôt que dans un service pédiatrie) et que ça m’a un brin traumatisée.
    Je croise les doigts pour que tout aille bien, et je t’embrasse, bon courage pour les allers-retours et garde le moral !

    • Alphos

      Ho, moi le moral va bien. C’est juste mes pieds qui m’en veulent un peu (deux stations et un changement, je me fais le trajet à pied), et un peu mon dos (je reste debout, sans marcher, en me penchant quand elle veut me glisser un mot à l’oreille, sans parler des affaires qu’il faut lui apporter tous les jours et de la faire passer du lit au fauteuil et vice-versa). C’est pour son moral elle que je m’inquiète surtout, vu que malgré son âge rester assise la perturbe énormément : elle est habituée à être assez active (ménage, cuisine, courses) et plutôt indépendante, donc l’immobilité ne lui sied qu’à moitié… et dépendre de quelqu’un pour faire sa toilette lui déplaît au plus haut point 😀

      PS : l’ancienne voisine cherchait « un bout de [sa] canne » aujourd’hui. Indice : il n’était pas dans un placard, ni dans la salle de bain, ni sous un lit, ni sur les genoux de ma grand-mère, ni sur le rebord de la fenêtre…

      • Dans l’ascenseur ? J’ai déjà vu ça, un gamin de 4 ans en corset-minerve qui regarde dans un ascenseur en se penchant à droite puis à gauche (pouvait pas tourner la tête avec son machin) pendant que la porte se referme, avec l’infirmière qui court depuis le bout du couloir en ululant pour éviter la catastrophe. (Pour les angoissés, ça s’est bien terminé.)

        Sinon, ouais. Courage à toi pour les allers-retour, c’est jamais marrant, et bon rétablissement à ta grand-mère.

  • Les chutes, ça peut effectivement être très mauvais. Même parfois à un âge peut-être moindre de celui de ta grand-mère, et sans que ce soit forcément spectaculaire : ma mère s’est ainsi cassé la rotule, une fois, en montant un escalier, sa cheville s’étant mal placée, provoquant une chute d’à peine 25 cm sur la marche supérieure moquettée.

Leave a Reply

You can use these HTML tags

<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong> <pre lang="" line="" escaped="" cssfile="">